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Plafond de la dette américaine : le lait trop cuit n’a pas une bonne odeur

Si vous faites bouillir du lait dans une casserole couverte, vous courez le risque qu'il déborde rapidement. Aux États-Unis, le livre de cuisine ultime, la constitution de l'État, stipule que le plafond (de la dette) doit toujours être maintenu en place. Les cuisiniers des assemblées législatives des États américains doivent donc toujours veiller à ne pas faire déborder la marmite avec leurs résolutions annuelles sur la dette. Une alternative consiste à soulever le couvercle de la casserole. Cela s’est produit à 79 reprises dans l'histoire des États-Unis, et plus de dix fois depuis 2010. Dans le duel entre les deux équipes de cuisine, les démocrates et les républicains, et leurs chefs, le président Biden et le président de la Chambre McCarthy, les démocrates sont favorables à l'idée de relever le plafond, tandis que les républicains préféreraient éviter d’avoir à le faire.

Après que la secrétaire au Trésor américain, Janet L. Yellen, ait averti les dirigeants des deux chambres du Congrès, le 19 janvier, que le plafond actuel de la dette, fixé à environ 31.400 milliards USD, serait atteint le jour même et que le plus grand émetteur d'obligations au monde serait confronté à un manque de liquidités d’ici à l'été si des mesures n'étaient pas prises rapidement, les chefs ont montré des signes d’inquiétude. Comme tout chef le sait, lorsque le lait commence à bouillir, il faut agir vite. Les "mesures extraordinaires" auxquelles Mme Yellen fait référence dans son courrier aux décideurs politiques leur donnent jusqu'au mois d'août 2023 pour agir.

Bien que la cuisine financière américaine soit plus difficile à appréhender que son équivalent en télévision, MasterChef, les acteurs du marché se souviendront de l'année 2011 comme un exemple de bataille acharnée autour du plafond de la dette. L'impact sur les consommateurs et les investisseurs s'est clairement fait sentir cette année-là. La confiance des consommateurs et des entreprises avait chuté, l’indice d’actions S&P 500 avait plongé de 17 % les deux semaines précédant la date-butoir, tandis que la volatilité des cours des actions et les spreads de crédit s’étaient envolés et durablement maintenus à un niveau élevé. Les rendements des bons du Trésor arrivant à échéance le 2 août et d’autres instruments du marché monétaire se sont effondrés, tandis que certains bons du Trésor n’étaient plus acceptés en garantie d’opérations sur dérivés. L’accroissement des risques de défaut avait freiné la demande des investisseurs étrangers en bons du Trésor américain à court terme, tandis que le dollar avait perdu 9,2 % de sa valeur par rapport à l’euro entre le début de l’année 2011 et la résolution de la crise.

Plus la date fatidique se rapproche, le jour où les États-Unis feront défaut, plus il est probable que, comme en 2011, les cuisiniers surveilleront jusqu'au dernier jour l'ébullition du liquide blanc dans la casserole. Récemment, la secrétaire d'État au Trésor, Mme Yellen, a prévenu que le gouvernement pourrait déjà manquer de liquidités et de capacité d'emprunt à compter du 1er juin. Soit environ deux mois plus tôt que prévu et cela est dû à la baisse des recettes fiscales. Comme les entrées et les sorties du compte général du Trésor, le principal compte du Trésor américain, sont très volatiles, il est difficile de calculer une date exacte. Toutefois, les marchés semblent avoir une bien meilleure idée de la date en question. Les fonds du marché monétaire achètent des bons du Trésor américain à court terme arrivant à échéance avant la date présumée, ce qui fait grimper les prix. En revanche, les bons du Trésor arrivant à échéance début juin sont tellement délaissés que l'on assiste à un saut de rendement contre nature entre des échéances espacées de quelques jours seulement.

Le marché des CDS (credit default swap) anticipe d'ores et déjà un risque de répétition de 2011 très élevé. Les spreads des CDS, qui reflètent les coûts d’assurance des dettes américaines, ont atteint des niveaux similaires à ceux de 2011. En revanche, le marché actions américain ne montre aucun signe de panique. Les consommateurs sont détendus et toujours enclins à dépenser malgré la bataille politique à venir. Même le dollar n'a guère varié ces derniers temps et ne montre aucun signe de faiblesse. Les marchés des actions et des devises semblent avoir vu cette danse du plafond de la dette tellement de fois qu'elle est devenue une sorte de rituel à Washington.

Toutefois, le climat politique aux États-Unis est plus polarisé que jamais et l'atmosphère hostile qui règne au Congrès pourrait rendre difficile la recherche d'une solution au problème du plafond de la dette. De nombreux partisans des deux équipes de cuisine ne semblent pas prêts à faire des compromis, et certains préféreraient voir le pays faire faillite plutôt que de céder aux négociations. On peut ne pas aimer Donald Trump, mais ce qu'on ne peut pas nier, c'est sa popularité auprès des électeurs républicains. L'ancien président américain a récemment exhorté les législateurs républicains à laisser les États-Unis être en défaut quant à leur dette si les démocrates n'acceptent pas de réduire les dépenses.

Le Congrès a encore le temps d'aplanir les divergences d’opinions politiques et comme l’histoire le montre, les politiciens américains tendent à enterrer la hache de guerre tôt ou tard pour éviter le scénario catastrophe évoqué plus haut si le pays était menacé de faillite. Les conséquences seraient plus que désagréables. Comme dans la cuisine après que le lait a été renversé, les Américains devront faire face à l'odeur âcre d'une baisse de leur note de crédit. Et le nettoyage des dégâts est généralement très coûteux. Presque personne ne veut voir jusqu'où les marchés vont descendre après un défaut américain. Lorsque le lait touche le bord de la marmite, il est préférable de soulever le couvercle.